Eugène Atget par Bérénice Abbott en 1927 |
Eugène Atget, le père de la photographie documentaire
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Eugène Atget est né
à Libourne en 1857. Après des études dans la moyenne, il se produit comme comédien du théâtre aux armées durant son service militaire. Il décide d'en faire sa profession lorsqu'il s'installe à Paris en 1883 où il fait la connaissance d'André Calmettes, comédien renommé.
André Calmettes |
Il séjourne une partie de l'année à La Rochelle où il débute des prises de vues pictorialistes puis il abandonne la comédie et se met à fréquenter les décorateurs paysagistes du théâtre parisien basés à Montparnasse. Sur les conseils d'André Calmettes, Atget débute alors une série de prises de vues dans les parcs parisiens ainsi qu'à Versailles dans l'intention de les vendre aux décorateurs de théâtre et aux graveurs qui exécutaient alors leurs œuvres d'après des photographies.
Du mouron... 1896 |
C'est en 1895 qu'il entame véritablement ses séries de vues urbaines. A ses débuts, sans trop de clientèle, il vend ses clichés au format carte postale aux terrasses des brasseries à Montparnasse. Ces cartes postales sont consacrées aux petits métiers de la rue et les quelques rescapées se négocient à prix d'or de nos jours.
Carte de visite d'Atget |
En 1897, il emménage rue Campagne Première où il travaillera jusqu'à sa mort. Cette année là, Il fait ses premières ventes de vues urbaines à au Musée Carnavalet et à la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris.
Dans un souci d'indépendance, notament sur le choix des sujets, Atget refuse de travailler pour la Commission Historique du Vieux Paris, nouvellement crée en 1898. Son caractère ombrageux et son intransigeance professionnelle lui font rater quelques contrats alors qu'il mène un train de vie médiocre. Ce refus de tout compromis, il l'appliquera à sa technique, ce qui constituera désormais sa marque de fabrique (pas de flash magnésium, pas de masquage des plaques au vernis et refus de tirer à l'agrandisseur pour recadrer).
Deux amis d'Atget, Victorien Sardou et Edouard Detaille, qui sont respectivement auteur dramatique et peintre, siègent à la Comission et ils "orienterons" néanmoins Atget dans le choix des sites susceptibles de trouver un débouché sur le marché naissant de la conservation du patrimoine (Paris historique et sites datant d'avant 1789).
C'est dans ce contexte qu'en 1895, Atget débute une série de prises de vues consacrées à la topographie de la Vieille Ville. Il est guidé par une véritable passion conservatrice et il va s'employer à photographier et à archiver une ville qu'il voit se modifier très rapidement. Atget a le point de vue suivant : "c'est par l'histoire de l'art que l'on comprend l'histoire tout court", sous entendant par là que l'art se doit d'avoir également une vocation documentaire. Même si certains clichés n'ont pas de valeur historique ou artistique pour Atget au moment de la prise de vue comme sur le cliché ci dessous, ils possèdent aujourd'hui une valeur d'ancienneté par leur aspect "non moderne".
A propos de ses clichés, Atget disait souvent : ce ne sont que des documents !
Pour Atget, ces sites à l'architecture sans style particulier possèdent juste une valeur documentaire à travers les éléments vétustes qui les composent en répondant à la question : c'était comment avant ?
Epicerie Impasse Massena 1910 |
Cour de Rohan 1915 |
Cour rue Broca 1912 |
Au vu de ces clichés, on peut dire que chez Atget, la décrépitude se trouve magnifiée en devenant un motif artistique. Atget écrira en 1920 à Paul Léon, directeur ministériel des Beaux Arts: "...ma collection est à présent terminée, je peux dire que je possède tout le VieuxParis" Atget veut dire par là qu'il a constitué un catalogue complet sur l'art dans la Vieille Ville. En fait, il photographie Paris pour en sauvegarder la mémoire.
Atget
s'intéresse aux sujets les plus divers.
Il photographie indifféremment la
topographie,
les façades, les ornements, les ouvrages d'art, le mobilier
urbain, les métiers de la rue,
les fêtes foraines ou encore le monde
Rue de la Montagne Ste Geneviève 1898 |
Colonne Morris Place St Sulpice 1910 |
Fille publique faisant le quart rue Asselin 1921 |
Comme on peut
le constater en parcourant son œuvre, il s'efforce de bannir tout sujet présentant un aspect de modernité.
Quand on lui demande pourquoi il ne photographie pas les entrées du métro et très rarement les automobiles qui commencent
à surgir ici et là, il répond invariablement qu'il a suffisamment à faire avec
les sites historiques...toujours cette intransigeance !
Pour photographier les sites historiques de la vieille ville, Atget suit le parcours du "Guide Pratique à travers le Vieux Paris", un guide touristique fléché comportant des indications historiques. A ce sujet, il est amusant de comparer la couverture de ce guide avec la couverture de l'album d'Atget sur l'histoire du Vieux Paris. Comme on le voit ici, en guise de sous titre, Atget s'est contenté de reproduire presque mot pour mot celui du Marquis de Rochegude.
Au début des années 20, Man Ray, peintre et
photographe très proche du Groupe des Surréalistes s'intéresse à certains clichés d'Atget. Son attention se porte tout particulièrement sur le travail d'Atget concernant les vitrines, les reflets, les fêtes foraines, les maisons
closes ou encore les enseignes.
Voyons ici quelques vues parmi les plus
étranges qui ont inspirés ce groupe
Rue Asselin fille publique faisant le quart 1921 |
Boutique fruits et légumes rue Mouffetard 1925 |
Par la suite, d'autres membres éminents du groupe s'intéressent au travail d'Atget comme André Breton, Aragon, Paul Eluard
ou encore Blaise Cendrars.
Fête de Vaugirard 1926 |
Naturaliste rue de l'Ecole de Médecine 1926 |
Pour accentuer le côté documentaire, Atget photographie en l'absence de toute activité et de tout mouvement
Avenue de la Grande Armée 1924 |
Marchand de vin rue Boyer 1910 |
Rue Mazarine 1911 |
Les
chantiers, les rues, les cafés sont déserts ; les façades sans vie ont un aspect étrange
Dans
un monde sans habitants, les objets prennent une dimension inhabituelle
Enseigne et balcon rue du Petit Pont 1913 |
Très influencé à ses débuts par le courant pictorialiste, Atget s'écarte petit à petit des règles de la documentation d'architecture édictées par la première mission héliographique. Loin d'être perfectionniste dans ses cadrages, Atget multiplie les plans successifs pour former des sortes de constellations asymétriques porteuses de tensions plus prononcées que dans les clichés d'architecture conventionnels de cette époque.
Les toits de Saint Séverin 1903 |
Cour 7 rue de Valence 1922 |
Atget utilisait du matériel
d'excellente facture pour l'époque ; quoique datant un peu ; il a débuté avec une chambre 18x24 type Jonte équipée d'une trousse Berthiot multifocale similaire à celle ci. Il utilisera ce système jusqu'à la fin de sa vie, refusant obstinément l'usage des premiers boîtiers moyen format équipés de chargeurs de plaques apparus dès la veille de la guerre de 14-18
Parmi la clientèle d'Atget figurent des noms célèbres parmi lesquels : Foujita, Kisling, Wlaminck, Picasso, Utrillo, Braque ou encore Man Ray. Le peintre André Dignimont, collectionneur d'objets érotiques lui commanda un reportage sur la prostitution
Sur les indications du peintre, Atget part à l'aventure à la recherche du "Fort Monjol", haut lieu de la prostitution situé dans le quartier Combat devenu le quartier des Buttes Chaumont au carrefour des rues Asselin et Monjol (disparues). Il y prendra des clichés d'une audace extrême pour l'époque , dépassant parfois le propos artistique et érotique dans des vues qu'on pourrait qualifier de pornographiques de nos jours. Certaines vues de la collection Dignimont n'ont jamais été "dévoilées" au grand public
Peu avant sa mort, en 1927, Atget fit don de sa collection à André Calmettes, son exécuteur testamentaire et ami de toujours, qui en fit don à son tour aux institutions conservatrices (BnF, Carnavalet pour les épreuves et une partie des plaques). Le reste des plaques et les épreuves personnelles d'Atget a été acheté par Bérénice Abbott qui en a fait don au MOMA dans les années soixante.
Filles publiques rue Asselin 1925 |
Peu avant sa mort, en 1927, Atget fit don de sa collection à André Calmettes, son exécuteur testamentaire et ami de toujours, qui en fit don à son tour aux institutions conservatrices (BnF, Carnavalet pour les épreuves et une partie des plaques). Le reste des plaques et les épreuves personnelles d'Atget a été acheté par Bérénice Abbott qui en a fait don au MOMA dans les années soixante.
Atget aura eu une immense influence sur ses collègues contemporains (Seeberger, Man Ray, Cartier Bresson, Jahan et aux USA : Bérénice
Abbott, Walker Evans ou Dorothy Lange, mais également sur les générations suivantes (les puristes du surréalisme) : Lazlo Moholy Nagy, André Kertesz, François Kollar,
Dora Maar, Germaine Krull, Brassaï, Marcel Bovis ou Ansel Adams
Très rares sont les photographes qui, depuis Atget, ont apporté à la fois
une telle précision documentaire et un tel degré artistique dans leurs clichés. Son œuvre est considérée aujourd'hui comme une passerelle entre la photographie topographique du 19è siècle et le documentarisme du 20è siècle.
On peut dire que si Atget n'est pas l'inventeur de la photographie documentaire, il en est bien le père car il a transmis un propos et une technique qui n'appartiennent qu'à lui et qui font encore autorité de nos jours.
Lien vers le fond Atget de la BnF (Gallica) cliquez ici
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